On A Vu : The Color Line

Jusqu'au 15 janvier 2017 - Musée du Quai Branly - Jacques Chirac //
Les artistes africains-américains et la ségrégation

Enfin ! Enfin une exposition qui rend hommage au travail des artistes africains-américains ! Et quelle exposition ! Au fil de la visite on est touché, amusé, ému, impressionné, bref on passe par toutes les émotions pour en ressortir bouleversé par notre ignorance sur le sujet. Vous allez découvrir de nombreux grands artistes encore trop méconnus en France comme Horace Pippin , Jacob Lawrence, Dox Thrash ou Mickalene Thomas pour ne citer qu'eux. Cette exposition passionnante retrace 150 ans d'histoire en 600 peintures, dessins, photos, sculptures, livres et autres documents en déroulant chronologiquement les étapes allant de l'esclavage et la ségrégation  à l'égalité des droits. Le nom de l'exposition, "color line", vient d'un terme qui apparaît en 1881 dans l'article d'un des premiers leaders noirs, Frederick Douglass. Ce terme sera ensuite repris par W.E.B. Du Bois qui le qualifiera de "problème du XXe siècle".

 

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Dès le début de l'exposition on plonge dans la thématique avec un bouquet de coton. Loin d'être anodin, ce bouquet symbole de l'esclavage est également la plus ancienne oeuvre d'art d'un artiste noir-américain qui nous soit parvenue. Datée de 1858 elle a été créée par David Drake, esclave et potier dans une plantation de Caroline du Sud. Dans cette salle d'introduction on peut également admirer une peinture représentant l'Oncle Tom, autre symbole de cette période sombre. Les thèmes abordés par l'exposition sont d'ailleurs ceux que les artistes afro-américains ont principalement traités à savoir le sport, la ségrégation, les lynchages, la condition des femmes noires aux Etats-Unis, ou encore Harlem, mais l'un des artistes se démarque un peu de cette "communauté". Il s'installe en France après avoir souffert du racisme dans son pays et y trouve du réconfort auprès des artistes français de Pont-Aven. Il peint alors des paysages de Bretagne et quelques œuvres religieuses mais très peu de scènes de la vie quotidienne des africains-américains. Il écrira d'ailleurs dans sa biographie qu'il était ravi de ne pas être qu'un "artiste noir" cantonné à ce type d’œuvres. Lorsque vous passerez le sas de l'Exposition Universelle de Paris de 1900, prenez quelques minutes pour observer les photos, livres et études mis en avant à l'époque par W.E.B. Du Bois dans le but de rendre leur dignité au noir-américains. Ce sociologue historien fût le premier afro-américain à obtenir un doctorat. Ayant grandi dans une communauté très tolérante pour l'époque, il n'a pas connu d'actes racistes à son encontre mais milita toute sa vie en s'opposant aux lynchages.

 

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Les artistes ne manquaient pas d'ironie et d'humour face à leur condition. Dans la salle dédiée au sport, David Hammons propose une chambre à air dégonflée qui contredit les attentes de performances de l'époque, et dont la toute petite valve semble s'opposer au mythe de la supériorité des noirs en ce qui concerne le sexe masculin, d'autant plus face aux nombreux coquillages représentant des vulves qui semblent envahir l'oeuvre. L'artiste signifie ainsi que les deux domaines dans lesquels les blancs concèdent aux noirs une certaine supériorité sont bien superficiels et insuffisants. La visite se poursuit avec un thème plus sombre : les bataillons de soldats afro-américains de la Première Guerre Mondiale. Les récits illustrés de Horace Pippin, peintre de style naïf, comptent parmi les œuvres les plus intéressantes de l'exposition. Qualifié de  "premier important artiste noir à apparaître sur la scène américaine" après que 3 de ses peintures aient été exposées par le MOMA, cet artiste autodidacte nous livre ici son expérience de la guerre en France.
L'une des plus belles salles de l'exposition est sans doute celle consacrée à Harlem et le "New Negro". Fière de ses origines, une nouvelle génération d'artistes voit le jour et se fait connaître : des romanciers, poètes, philosophes, musiciens... Malvin Gray Johnson réalise un autoportrait dans lequel il souligne ses origines par les masques africains présents en arrière plan, Aaron Douglas peint des motifs africains de style art-déco, et Archibald J. Motley se concentre sur la vie nocturne marquée par le jazz.
Le cinéma quant à lui restera longtemps un domaine hanté par la ségrégation avec ce que l'on pourrait appeler un "race cinema", des oeuvres spécifiques pour les noirs avec des acteurs africains-américains cantonnés à ce type de production.

 

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Si le lynchage peut nous sembler une pratique ancestrale et bannie depuis très longtemps, elle a en réalité été appliquée jusque dans les années 80 -voire encore aujourd'hui si l'on en croit certains débordements policiers. Plusieurs scènes ont été représentées pour montrer l'horreur de cette pratique avec notamment l'Excution de Robert Thompson dont les couleurs vives peuvent sembler évoquer une balade champêtre mais, en s'approchant un peu, on ne peut manquer la noirceur de l'homme pendu et des personnages effondrés autour de lui.
Après la Seconde Guerre Mondiale, le fardeau du racisme est toujours bien présent et donne du fil à retordre aux hommes et femmes noirs qui cherchent un emploi, comme le montre magnifiquement la série de 60 tableaux The Migration Series de Jacob Lawrence qui dépeint la vie des migrants venant du sud rural des Etats-Unis. La condition des femmes noires quant à elle est représentée par l'artiste Elizabeth Catlett dans différents dessins plus poignants les uns que les autres.

 

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On termine l'exposition en beauté avec des œuvres plus contemporaines et pleines d'espoir dans une thématique évocatrice : "Black is beautiful". Les couleurs se mélangent, les revendications se font sur de nouveaux terrains avec notamment quelques hommages à Martin Luther King. On retient évidemment l'oeuvre scintillante de strass de Mickalene Thomas qui revisite régulièrement les canons de l'histoire et propose ici l'une de ses dernières oeuvres : The Origin of Universe, comme pour nous rappeler que nous avons tous la même origine. Les artistes contemporains noirs ne sont plus des New Negroes comme l’étaient Langston Hughes ou Aaron Douglas, ni des Negroes ainsi que se revendiquait le grand écrivain Ralph Ellison, pas davantage des Afro-Americans ou des Blacks comme l’étaient Romare Bearden ou Norman Lewis selon mais bien des "African-American" fiers de leurs racines tout en étant américains. C'est donc un magnifique message que nous transmet cette exposition avec une évolution vers l'égalité que l'on espère sans fin et la révélation d'une créativité qui méritait d'être mise à l'honneur. On vous recommande de faire un tour au Musée sans plus attendre pour découvrir cette pépite !

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Musée du Quai Branly – Jacques Chirac
37 quai Branly, 75007 – M° Iéna (9)
Du mardi au dimanche de 11h à 19h
Fermé le lundi
Nocturnes du jeudi au samedi jusqu’à 21h
Tarif : 9€, Tarif réduit : 7€


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