Marcel Duchamps : De l’urinoir à l’art

L’invention du Ready Made

 

« Le grand ennemi de l’art, c’est le bon goût » n’a cessé d’affirmer Marcel Duchamp tout au long de sa vie.  Né en 1887, le peintre et plasticien français était décidé à faire entendre son avis sur ce qui peut ou non faire art.

En 1917, alors qu’il se chargeait de promouvoir l’art d’avant-garde, Marcel Duchamp présenta sous un pseudonyme une création pour le moins déconcertante à la Société des artistes indépendants de New York, Société dont il faisait partie . « Fontaine », signée par un R.Mutt, consistait en un simple urinoir en porcelaine sorti tout droit de la réserve d’un plombier et simplement signée à la main. Bien que Marcel Duchamp défendît corps et âme cette œuvre, la Société des artistes indépendants la refusa et l’artiste furieux démissionna, sans que personne ne devine qu’il était l’auteur de cet étrange ouvrage. Pourtant Fontaine allait faire faire exploser la tuyauterie du monde l’art. Quelques semaines plus tard, une photographie prise par Stieglitz parue dans une revue artistique et l'auteur décréta que Fontaine était une véritable icône de l’art contemporain. Ce que personne ne savait, c’est que Duchamp dirigerait la fameuse revue dans laquelle cet article fut publié. Trop tard, le feu avait pris et se propagea rapidement au sein des sphères artistiques du moment. Quand la supercherie fut démarquée, Marcel Duchamp devint le visage d’un mouvement absolument révolutionnaire qui considérait que seule l'intention importait pour considérer qu'une chose était une oeuvre d'art et que la manière n'avait aucune importance. Cette déclaration fit l’effet d’un coup de tonnerre, puisque l’époque l’impressionnisme, le cubisme et le pointillisme s’interrogeaient davantage sur la manière de créer que sur le contenu de la création.

Marcel Duchamp s’opposa à la toute-puissance de la performance technique qui tendait à l’emporter sur le sens. Evidemment, on peut lui reprocher de créer une forme d’art purement intellectuelle, où la place de la réalisation est complètement sous-estimée. Pour lui, produire l’objet de ses propres mains n’est en rien nécessaire. Tout ce qui compte, c’est de le concevoir mentalement. Cela ne le dérange pas de prendre des objets manufacturés et de les présenter en tant qu’œuvres, puisque c’est l’artiste qui insuffle le souffle artistique dans l’objet dès lors qu’il décide que cet objet sera œuvre d‘art. Cette attitude provocatrice, qui place l’artiste en Dieu créateur, a chamboulé le monde de l’art et a ouvert la porte à ce que nous appelons aujourd’hui "art contemporain". Plusieurs experts anglais ont décrété que l’urinoir de Duchamp est la pièce la plus influente de l’art moderne du XXème siècle, devant Les Demoiselles d’Avignon de Picasso.

Le problème c’est que les apports de Marcel Duchamp à la théorie artistique ont créé un effet pervers dont il n’avait peut-être pas conscience en 1917. « Fontaine » devait n’être et ne rester qu’un urinoir mais dès lors qu’il est entré au musée, il est devenu sculpture. Le système-Duchamp a eu tellement de succès qu’aujourd’hui ce n’est plus ce que fait l’artiste qui compte, mais qu’une galerie l’expose et surtout, qu’on en parle. Car si Marcel Duchamp a tué le règne du bon goût, il semble avoir couronné le scandale comme maître incontestable du marché de l’art !