À quand un droit d’auteur pour les robots ?

Décidément, le XXIe siècle est le siècle de toutes les Révolutions. Après l’arrivée d’internet, les prouesses du numérique ne cessent de prendre de plus en plus de place dans nos vies, jusqu’à remettre en cause les grands principes de notre humanité tels qu’on les considère depuis la naissance de la philosophie. L’arrivée des robots a d’abord chamboulé le monde du travail, et ce dès les révolutions industrielles du XIXe siècle. Mais dans ce cadre, la robotisation est une technique, au service de l’Homme : les robots industriels effectuent par exemple des tâches difficiles, dangereuses ou pénibles pour aider l’Homme. C’est du moins ainsi que les choses nous sont présentées, mais il n’est pas ici le lieu d’en débattre. Avec les avancées des toutes dernières années, les robots et l’intelligence artificielle investissent tous les domaines de la vie quotidienne. Qu’en est-il dans le champ de la création et de l’art ? Vaste question à laquelle nous allons tenter de répondre.

 

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Les robots, une simple technique ?

Les avancées technologiques, quelles qu’elles soient, sont normalement vouées à être au service de l’humain, et, dans le champ artistique, au service de sa création. Au service, le terme à son importance. Il s’agit d’aider l’Homme à satisfaire ses projets. L’innovation sert donc la technique, améliore les conditions de fabrication d’un concept artistique. C’est le cas par exemple avec l’utilisation de l’imprimante 3D dans le domaine de la sculpture. En 2015, l’Opéra de Montréal commande à l’artiste espagnol Victor Ochoa une statue monumentale pour les décors de l’opéra Elektra de Richard Strauss. Le sculpteur conçoit alors un prototype de plus de 7 mètres de haut et pesant plus de deux tonnes. Le problème : l’œuvre serait intransportable de Madrid à Montréal ! Qu’à cela ne tienne, Victor Ochoa a alors réalisé, à partir de matériaux traditionnels comme la résine ou le marbre, une version plus petite de la statue. Celle-ci a ensuite été numérisée et modélisée via des logiciels spécifiques, avant d’être imprimée dans sa version gigantesque via une imprimante 3D.

Les robots, nouveaux faussaires de l’art

Depuis déjà longtemps, on savait reproduire à l’identique des œuvres d’art existantes. Avec ou sans les nouvelles technologies d’ailleurs, l’histoire de l’art regorge de faussaires et d’imitateurs, au talent si grand qu’il faut parfois des années aux musées et galeries pour s’apercevoir de la supercherie. Et maintenant, même les robots s’y mettent, et ne se contentent plus d’imiter. Ils créent littéralement de nouvelles œuvres, à la manière des plus grands peintres dont ils ont acquis toutes les spécificités. Grâce au système du Deep learning (un ensemble très poussé de méthodes d’apprentissage de modèles de données), l’ordinateur acquière les moindres détails du style du peintre étudié et devient capable de les restituer à la perfection. C’est ainsi qu’on a pu admirer en 2016 un nouveau Rembrandt, peint par une intelligence artificielle. Et pour un résultat encore plus probant, on a fait appel à l’imprimante 3D pour imiter le relief des couches de peinture (ici aussi en étudiant la réelle épaisseur des toiles de Rembrandt). Mais là, c’est encore bien l’Homme qui est aux commandes : ce sont les universitaires à l’origine du projet qui ont par exemple défini le sujet du tableau, pour que le résultat reste crédible, et qu’on y reconnaisse un vrai Rembrandt, à moins d’être un aficionado averti connaissant sur le bout des doigts l’ensemble de la carrière du maître de l’Âge d’or hollandais.

Les robots jouent la comédie

Non contents d’imiter les plus grands peintres, les robots nous imitent nous aussi et deviennent capables de reproduire nos réactions, nos émotions et notre gestuelle, au point de devenir comédiens et de monter sur les planches de nos plus grands théâtres. Ainsi en 2015, l’Opéra-Comique de Berlin proposait à ses spectateurs un bien curieux spectacle.  Intitulé My Square Lady, l’opéra imaginé par le collectif Gob Squad pousse l’idée de la mise en abyme à son paroxysme puisqu’il met en scène l’histoire d’une troupe de comédiens et de chanteurs lyriques cherchant à faire ressentir à un robot les émotions procurées par leur art. Et chose incroyable : le robot héros de la pièce ne récitait pas sur scène un texte préalablement programmé dans son système, mais réagissait directement et en live à son environnement. D’où la subtilité de la mise en abyme. Si l’écart reste encore flagrant entre les capacités de jeu d’un humain et celles d’un robot, le futur arrive à grands pas. À tel point qu’une chorégraphe japonaise est déjà en train d’opérer le cheminement inverse en imaginant un spectacle basé sur le postulat que, bientôt, ce ne seront plus les robots qui imiteront les hommes, mais bien les hommes qui tenteront d’imiter les robots (Robot, L’éternel amour, de Kaori Ito).

Les Géants du web à l’assaut d’un nouvel art ?

Les algorithmes de Google ont récemment donné naissance à un nouveau courant artistique : l’inceptionnisme. Avec le Deep Learning, les ordinateurs fonctionnent presque comme le cerveau humain : leurs connaissances passent par un large réseau de connexions de données, à l’instar de notre réseau de neurones. Dès lors, les ordinateurs deviennent capables d’associations d’idées qui leur sont propres. Qui n’a jamais vu dans les nuages les formes d’un personnage ou d’un animal ?  Et bien les ordinateurs et les programmes de reconnaissance d’images font de même, répondant à la consigne suivante des ingénieurs : qu’importe ce que tu vois, accentue-le. Le résultat emballe la toile, on vous laisse juger. Le programme, appelé Deep Dream a même donné lieu à une grande exposition à San Francisco, en 2016.

Quand l’élève dépasse le maître

Vous n’avez pas la berlue, et non l’auteure de cet article ne s’est pas endormie sur son clavier. Il s’agit… d’un nom d’auteur, celui de l’intelligence artificielle qui a créé ce tableau, nommé Le Comte de Belamy. À l’origine de ce projet, on retrouve l’Homme évidemment – avec le Collectif Obvious – mais nouveauté : l’intelligence artificielle a créé toute seule son chef-d’œuvre, sans que l’Homme n’ait programmé un dessin précis. On parle alors d’intelligence artificielle non assistée. Un pas de plus – voire un pas de géant ? – vers l’autonomie des robots. L’intelligence, étymologiquement l’art de faire des liens, ne semble plus être le propre de l’Homme.

Les Robots musiciens

En 2017, la chanteuse Taryn Southern, connue pour sa chaîne Youtube et sa participation à l’émission American Idol est revenue sur les devants de la scène avec la sortie d’un album bien particulier. Intitulé I Am AI, ce disque marquera l’histoire, car il s’agit en effet du tout premier album entièrement produit par une intelligence artificielle. La chanteuse s’est occupée d’écrire ses paroles, et c’est Amper, un logiciel développé par une équipe de musiciens professionnels et d’experts en nouvelles technologies, qui s’est chargée, avec plus ou moins de succès, de composer et de produire les morceaux. Et à l’instar des expérimentations dans le domaine de la peinture, les professionnels du secteur ont voulu faire de l’intelligence artificielle un moyen de créer de nouveaux morceaux qui pourraient sortir tout droit du répertoire des groupes mythiques. Ainsi, en 2016, avions-nous pu découvrir Daddy’s car, une tentative musicale d’égaler le style des Beatles, composée par Flow Machines, un ordinateur expert à qui on avait fait apprendre sur le bout des doigts toute la discographie de l’un des groupes les plus célèbres et influents au monde.

Les Robots et les Lettres

Et si la prochaine rentrée littéraire était celle de la consécration de romans écrits par des intelligences artificielles ? On en est encore bien loin, mais ces dernières sont pourtant déjà presque capables d’écrire toutes seules des ouvrages relevant de genres littéraires peu élaborés et extrêmement codifiés, comme les romans de gare par exemple. Ainsi, il existe d’ores et déjà des concours littéraires mixtes, où les concurrents sont tant des hommes que des ordinateurs. C’est le cas notamment au Japon, avec le Hoshi Shinichi Literary Award. Littérature donc, mais aussi cinéma, puisque les intelligences artificielles débarquent aussi sur le terrain de jeu des scénaristes. En 2016, le programme Benjamin, élaboré par un réalisateur et un chercheur et doué d’une intelligence artificielle, a signé le scénario d’un court-métrage de fiction, Sunspring. Le résultat fut assez probant pour être concluant, malgré quelques absurdités dans les dialogues. Ainsi, le personnage principal, discutant avec une interlocutrice, lui dit : “Dans un futur où règne le chômage de masse, les jeunes gens sont forcés de vendre du sang”. Ce à quoi elle lui répond : “Tu devrais voir le garçon et te taire. Je suis celle qui était censée avoir 100 ans.” Absurde, mais drôle, finalement comme beaucoup de films de genre.

L’art est-il le propre de l’Homme ? C’est ce que l’on pensait, du moins jusque-là. Car si l’art est essentiellement humain, comment qualifier alors les résultats des expérimentations artistiques des intelligences artificielles ? Si ces dernières sont encore indissociables de l’Homme, elles semblent pourtant devenir de plus en plus autonomes. Et s’il est encore peut-être trop tôt pour parler d’une révolution dans le monde de l’art, la question mérite toutefois d’être posée dès à présent. Car questionner l’art, l’imagination et la création, c’est questionner le genre humain. Mais se demander ce qu’est l’art, c’est aussi poser la question de notre regard. Si l’on vous montre une toile et que l’on vous demande de juger sa valeur artistique, auriez-vous la même réponse si vous saviez qu’elle avait été réalisée par un robot et non par un homme ? Face à une œuvre créée de toute pièce par un robot, l’Homme est-il capable d’y voir de l’art ? Comme le disait le philosophe Nicos Hadjinicolaou, une œuvre d’art existe en tant que telle à partir du moment où elle est regardée.

Les expositions qui parlent de robots : 

>> Capitaine Futur à la Gaîté Lyrique

>> Artistes et Robots au Grand Palais

>> Festival des Bains Numériques d'Enghien-les-bains

>> #HumainDemain au Quai du Savoir de Toulouse