Passée au crible : Le Tintoret, L'ambition avant tout 

Musée du Luxembourg
Du 7 mars au 1er juillet 2018

Jusqu'au 1er juillet 2018 -
Musée du Luxembourg //

 

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Qui aurait pu s’attendre à cela en visitant l’exposition consacrée au Tintoret ? Si l’on pensait découvrir ici la médaille de bronze des artistes vénitiens du XVIe siècle, après Veronese et Titien, et contempler platement ses immenses et innombrables toiles comme L’Adoration des Mages, la surprise n’en est que plus forte. L’angle adopté par le Musée du Luxembourg nous démunit de tout a priori : la ville des Doges était un ring pour les artistes, et Le Tintoret mettait K.O. ses adversaires.
En révélant ses toiles de jeunesse, on découvre que Le Tintoret, de l’italien tintoretto - ce petit fils de teinturier gentiment moqué - n’était pas à sous-estimer. Grave erreur de la part de ses confrères : il se fait éjecter de l’atelier de Titien au bout de quelques jours, par arrogance de l’un ou par jalousie de l’autre. Le peintre est talentueux, mais son leitmotiv qui le pousse à déroger aux codes est plus profond : l’ascension sociale. Derrière sa touche rapide et tourbillonnante se cache l’ambition de s’extraire de sa condition pour s’élever dans les sacro-saints de la société vénitienne.
Sa stratégie et son audace visuelles sont palpables : si les figures sont dotées d’un élan sans pareil, loin de la statique des anciens, les décors dans lesquels elles évoluent montrent une forte maîtrise architecturale. La perspective du quattrocento est poussée à son paroxysme et le tout se détache de la toile par des teintes vives, du rose framboise au bleu roi. Pas de doute, il condense dans ses productions tout son savoir-faire. Mais Le Tintoret n’a physiquement pas pu réaliser une telle production (environ 250 toiles) tout seul : fondé en 1540, son atelier débauche des petits peintres de talent qui l’assistent, pour ne pas dire remplacent, dans son travail. Ainsi peut-il produire plus vite que les autres, rafler les commandes des influents et se faire une place au soleil vénitien.
Cette révélation quant à l’ambition sans limite de l’artiste, qui fit de son art un acte commercial, est pourtant à double tranchant. Si les œuvres de jeunesse exposées répondent à l’intitulé, la naissance de ce génie s’est partiellement faite grâce aux petites mains de l’atelier. Comment distinguer alors les originaux de Tintoret des peintures collaboratives ?
Si le problème de l’attribution des œuvres est un sujet qui reste délicat, gare cependant à rester lucide face à ces toiles immenses : si le génie créatif naît dans la pensée, il faut aussi des mains pour l’exécuter.